Le jeune héritier des Nightfield se dirigeait d’un pas décidé vers l’intérieur de la bâtisse, précédé de Nathan et des autres invités, et suivit par Lisa, Lelouch et Mathilda. Il essayait de reprendre sans succès son sang-froid perdu en cours de route. Quand il avait entendu la jeune demoiselle prononcer de telles vilenies, il avait eu pendant une fraction de seconde la conviction que ça ne pouvait pas être elle qui avait prononcé ces mots sans pitié. Et ce fut ce doux et innocent sourire qui finalement réussi à lui donner tord. Sur le coup, son sang n’avait fait qu’un tour. C’était totalement d’instinct qu’il s’était levé si précipitamment pour porter la main sur la jeune fille. Gilbert détestait au plus profond de lui-même les êtres si retors et sournois. Heureusement que Nathan avait su déceler le malaise et intervenir au bon moment. Il savait qu’il lui suffirait d’un mot, un seul, pour que son fils revienne à la raison. Encore heureux. Car dans le cas contraire, si le jeune avait vraiment commit ce geste, celui-ci, pourtant insignifiant, aurait eu des conséquences on ne peut plus désastreuses. Les apparences avaient tellement d’importances pour tout ces bourgeois, ces nobles… Il suffisait d’un seul minuscule faux pas et tout pouvait chavirer. Gilbert était intérieurement furieux, et pas seulement contre Mathilda. Certes, il ne pouvait occulter le fait qu’il en voulait, au moins un peu, à Lelouch pour l’avoir laisser tomber ainsi. Déjà qu’il avait du mal à supporter la façon dont le jeune prince le voyait… (La façon dont il pensait que le prince le voyait…) Mais au final, la personne contre qui il était le plus fâché, c’était bel et bien contre lui-même. Il s’était en quelques sortes laissé embobiner par le manège de la demoiselle, persuadé qu’elle été aussi douce et pur que ce qu’elle laissait paraitre. Oh, à aucun moment il ne lui avait accordé la moindre confiance. Non, ceux ayant ce droit étaient bien trop peu nombreux et privilégiés. Mais disons qu’elle avait réussit à gagner un certain crédit à ses yeux. De par sa discrétion et sa gentillesse, elle avait l’air d’être le genre de personne que Gilbert aimait beaucoup. De plus, elle était vraiment mignonne… Non, plus que mignonne, elle était même belle, tout simplement. Le genre de beauté rafraichissante, celle qui reste et résiste aux affres du temps. Et bien que l’héritier des Nightfield n’était en rien intéressé par les histoires de cœurs, qu’il jugeait insipides, fades et sans intérêt, il restait un jeune homme malgré tout, encore en plein dans l’adolescence. En conséquence, la présence d’une jolie fleur, et qui plus est du même âge que lui, ne pouvait que l’inciter à endormir sa méfiance. Il ne pouvait par conséquent pas s’empêcher de ressentir une sorte de honte gênante à l’idée que cette situation aurait pu être évitée si seulement il avait continué à rester aussi froid que possible envers quelqu’un qu’il ne connaissait pas tant que ça.
Lorsque finalement il arriva dans le salon principal, Monsieur Luberier, le précepteur qui n’était toujours pas partit et avait préféré se joindre aux festivités, lui tendit l’étui de son violon et lui proposa une partition. D’un simple coup d’œil, Gilbert en lu le titre et cela suffit à lui mettre les notes de la musique en tête. Il acquiesça sans prendre la feuille et profita du fait que le professeur donne les partitions aux deux autre joueurs pour sortir sans bruit l’instrument de son coffret de bois noir nacré. Il laissa les autres s’adapter, observer le petit groupe d’invités et essayer de garder contenance devant eux et il finit par se perdre un instant dans la contemplation silencieuse de l’instrument à cordes. Il remarqua d’un air distrait la discussion que Mathilda tenait avec une vieille dame qui l’encourageait, et le regard bienveillant que sa mère lançait à Lelouch. La colère de tout à l’heure avait déjà fait place à une sorte de tristesse mitigée. Il regrettait ce qu’il avait failli faire à la jeune fille. Pour lui, ce n’était pas justifié. C’était à ses yeux la preuve qu’il pouvait encore être un gamin puéril. Oh, évidemment, pour d’autre il n’était que bien trop mature. A son âge, on ne devrait pas être si sérieux. Mais lui voyait les choses différemment. Car il voulait que l’on soit fier de lui tout simplement. Et il savait que ce n’était pas en agissant comme un gosse toute sa vie que ce serait le cas. Alors, on peut dire qu’il s’était forcé à grandir un peu trop vite… Et de temps en temps, il ne pouvait s’empêcher de retrouver le gamin en lui, celui qui agissait sans réfléchir aux conséquences. Finalement, le bruit de quelqu’un qui frappe deux coups secs de ses mains le ramène la réalité. Luberier avait placé un porte-partition devant Mathilda, assise sur un tabouret, et devant le regard améthyste de Lelouch. Gilbert était le seul debout et sans partition. Pourquoi faire ? Il en connaissait les notes par cœur à force de les avoir répété. Mais jamais encore il n’avait pu jouer le morceau original vu que le précepteur à tête de renard ne pouvait que l’accompagner de temps en temps au piano. L’auditoire avait à présent cessé toutes leurs discussions, attendant dans un silence religieux le début du spectacle. A cet instant on aurait dit que la scène du jardin n’avait jamais eu lieux.
Ce fut Lelouch qui devait commencer, entonnant un solo de piano durant plusieurs secondes. Des notes graves, lentes, lancinantes qui ne pouvait empêchées de partir dans des tons légèrement plus aigues par la suite, sans pour autant laisser tomber les longs tremolos qui restait collés aux tympans en arrière-plan sonore. Gil jeta un coup d’œil àau jeune prince qui semblait complètement dans son monde, absorbé par la musique… Et sans qu’il ne puisse s’expliquer pourquoi, cette vision le rendit un peu triste, et une sensation de solitude l’envahit. D’habitude, il aimait cette solitude. Mais là, elle lui semblait comme un invité indésirable qui s’était infiltré dans prévenir. C’était une impression… Désagréable. Il aurait voulu s’en débarrasser. Mais comment faire donc ? Jamais il n’avait ressentie ça auparavant. Il prit le parti de ne plus y penser et détourna les yeux vers Mathilda. Celle-ci venait de finir d’analyser la mélodie et attendait son moment. Elle ne semblait guère à l’aise et quand elle capta le regard du jeune homme aux cheveux noirs, elle se détourna bien vite, trouvant soudainement un intérêt tout nouveau aux cordes de la contrebasse. A force de s’en faire, Gilbert failli rater son départ. C’est d’ailleurs avec un retard imperceptible que seuls les habitués de la musique pouvaient remarquer. Le violon commença donc une longue plainte, comme une litanie lancinante en duo avec la légèreté du piano. Celui-ci s’éclipsa très discrètement pour laisser la place a la force de cette contrebasse si poignante. Le nouveau couplet dura longtemps aux yeux de Gilbert. Un peu trop. Il était légèrement déstabilisé, bien qu’il ait réussi à retrouver une certaine sérénité comparé à tout à l’heure. Il fit quelques écarts, quelques erreurs, mais apparemment peu de monde s’en souciait. Ce fut au moment où le piano revint que toute tension sembla disparaitre soudainement. Le jeune violoniste, les yeux fermés et concentré sur son archet, sembla s’apaisé… Le rythme de son instrument se fit plus doux et leste, plus comme un air qui se voulait rassurant. Les musiciens étaient complètement dans leurs mondes, seuls leurs notes virevoltantes dans les airs comme des papillons semblaient avoir de l’importance à leurs yeux. Le monde aurait pu s’écrouler que rien ne les tireraient de leurs doux rêves mélancolique. Ce morceau racontait quelque chose. Une histoire profonde, remplie d’amour, de joies, de tristesse et de doutes. Et ces trois petits, ces jeunes qui semblaient tous trop matures pour leurs âges, en étaient les protagonistes. La contrebasse et son amertume, le violon et sa froideur lunaire, ainsi que le piano et sa douce chaleur… Même célèbre pièce d’opéra n’aurait pu être plus belle, plus laconique. Et soudain, c’est la fin. Les deux instruments à cordes se taisent sans cérémonie. En revanche, les touches d’ivoires résonnent encore quelques secondes à travers la pièce. Des secondes qui s’égrènent bien trop vite selon le jeune Nightfield qui ne peut s’empêcher de garder les paupières closes jusqu’à l’extrême fin…
Un mince soupir passe ses lèvres quand il entend les applaudissements. A ses cotés, les deux jeunes gens qui l’ont accompagnés semblaient gênés. Lui aussi d’ailleurs ne savait ni trop où se mettre, ni comment réagir. Après force de félicitations extasiées, tout le monde retourna dans le jardin, commentant la scène à laquelle il venait d’assister. Au passage, Nathan posa une main sur l’épaule de son fils et lui adressa un bref sourire. Ses yeux rieurs indiquaient à quel point il était content d’avoir réussi à faire oublier l’incident au reste des invités. Sans un mot de plus, il rejoignit sa femme à coté d’une des tables drapées de blanc, laissant les trois jeunes gens seuls. Gilbert se chargeât se ranger son instrument dans l’étui qu’il posa sur le banc de l’imposant piano noir. Il se redressa quand il entendit la remarque de Lelouch, et hocha la tête en un bref signe de remerciement. Le prince fit de même envers Mathilda qui, contemplant l’archet qu’elle avait toujours à la main, se fit un devoir de l’ignorer royalement. Devant une attitude aussi puérile, le garçon aux yeux mordorés ne put empêcher son visage d’exprimer une certaine lassitude blasée. Pourquoi diable se braquait-elle ainsi ? S’il y en avait ici qui devait réagir ainsi, ce n’était certainement pas elle. Alors qu’un silence tendu s’installa, Lelouch demanda à son hôte de lui accorder sa demande. Le concerné voulut acquiescer et esquissa un début de sourire mais celui-ci s’éteint bien rapidement devant la suite des événements…
La demoiselle aux yeux d’ambres précieuses se posta d’un air ferme et déterminé à quelques pas du fils de l’empereur. Elle semblait hors d’elle et une telle hargne habitait son visage que Lelouch recula, se rapprochant de son ainé et semblant chercher quelqu’un ou quelque chose du regard. Mathilda commença à déverser son sac en des paroles plus transpercantes et acérées que des lames terriblement aiguisées.
- Non mais pour qui tu te prends ?! Tu n’es que de la progéniture miteuse qui profite de la notoriété de ses géniteurs comme une sangsue ! Comment oses-tu t’accrocher à quelqu’un comme Gilbert ?! Elle s’avance de la cible de sa haine. Pauvre hypocrite ! Sais-tu seulement que la raison pour laquelle les gens te supporte est uniquement du à ton rang ? L’Empereur aurait du te jeter aux égouts à ta naissance, il a déjà bien trop d’héritiers !!
Tout cela sifflait comme des serpents prêts à mordre. Gilbert en fut encore plus éberlué que tout à l’heure. Il ne reconnaissait plus la douce Miss qu’on lui avait présentée tantôt. Son corps était figé tant il n’arrivait pas à analyser la situation. Le flot d’immondices continuait pourtant son horrible besogne.
- Les rebuts comme toi me dégoutent. Ils profitent lamentablement des autres en utilisant leurs pouvoirs derrière des faux-semblants ! Je les hais… Je TE hais !
Avant même de finir sa phrase, elle n’eu qu’une enjambée à faire pour se retrouvé devant le prince aux cheveux noirs de jais. Dans un réflexe de colère animale, ce fut cette fois elle qui leva le bras, prête à frapper, l’archet encore dans sa main. Elle le serrait si fort que les jointures de ses doigts étaient devenus blancs mais elle avait l’air d’avoir oublié tout le reste. Témoin de cette scène, Gilbert eu enfin l’air de se réveiller, conscient de la situation critique qui se déroulait sous ses yeux. Sans même s’en rendre compte, son corps bougeât tout seul…
Un bruit de bois qui craque et se brise emplit la pièce un long moment. Le temps semblait comme s’être arrêté.
Une goutte de sang carmin souilla le marbre du sol.
Cette fois, la tension était à son maximum. Personne ne bougeait, personne ne parlait, comme si la moindre chose aurait pu tout briser en a peine une seconde.
Mathilda était debout, tremblante, les yeux écarquillés, comme si elle venait d’échapper à un cauchemar digne de la plus grande épouvante. Sa main s’ouvrit et un morceau d’archet brisé tomba par terre. Face à elle, Gilbert, un bras levé en mouvement de protection et l’autre entourant les épaules du prince, la bombardait d’un regard noir et remplie d’une haine sourde encore pire que celle dont elle venait de faire preuve. Quelques éclats de bois semblaient avoir traversés le tissu de sa manche pour se ficher dans sa chair, tandis qu’une entaille à la joue gauche et une autre, plus petite, sur le cou, étaient responsable du liquide rouge qui goutait lentement. Les cordes d’archets étaient si fines et robustes qu’elles pouvaient devenir de vraies armes. La demoiselle avait le cœur qui battait la chamade sous le coup de l’adrénaline. Elle ne put soutenir le regard assassin et regarda ses mains assaillies de spasmes. Elle déglutit. Elle venait de se rendre compte de la portée de son geste. Pourtant, même si elle avait l’air de regretter, elle était sans doute en train de se dire que le mal était fait, et qu’il était inutile de faire marche arrière. Elle prit une inspiration, prête à prendre la parole avec autant de détermination que depuis le début, mais elle fut stoppée par le plus âgé qui lui attrapa le poignet, la dominant de toute sa hauteur. Si elle, elle détestait les gens comme Lelouch, lui avait en horreur ce genre d’êtres… Sourire de miel et cœur de fiel…
- Arrête ce petit manège immédiatement… N’en rajoute pas !
Il était passé au tutoiement non pas à cause d’une quelconque proximité, au contraire ! C’était la preuve qu’à présent, elle n’était rien pour lui, et ne pourrait jamais l’être. Maintenant, elle avait définitivement perdu tout son respect. Surprise, elle voulut échapper à sa poigne et protester mais il l’en empêcha.
- Tu n’as rien a dire. C’est moi qui choisi les personnes avec qui je veux être. L’air furibard, elle se débâtit une ultime fois et il la lâcha. J’imagine qu’il est inutile de te préciser que ce n’est plus la peine de te présenter à nouveau ici à l’avenir ? Et sache aussi que ce n’est pas non plus la peine de reparler de cette histoire, c’est clair ? Car de ma parole ou de la tienne, quelle sera celle à qui l’on accordera le plus de crédit à ton avis ? Et je veux des excuses.
Sa voix était calme, posée et terriblement glaciale, tout comme son regard aussi tranchant que la glace. A l’inverse de Mathilda qui était encore enflammée. Elle eu un rictus mauvais et se tourna vers Lelouch avec une expression étrange. Son ton semblait étrangement… Rieur.
- Des excuses ? Vous pouvez toujours les attendre. J’ai pensé chaque mot que j’ai prononcé et je ne suis pas du genre à revenir sur mes paroles. En revanche, tu ferais bien de te méfier petit prince. Il n’est pas du genre à te suivre comme un gentil chien obéissant. Un jour, il te trahira ! Et peut-être que ce jour-là, tu regretteras amèrement d’avoir gagné cette bataille.
Gilbert ne comprit pas le sens des paroles qu’elle venait d’adresser à Lelouch. Elle tourna les talons et repartit vers l’extérieur, l’air troublé mais ayant déjà réussit à raccrocher son joli sourire. Le jeune homme la regarda partir jusqu’à ce qu’elle soit hors de son champs de vision. Ce petit cinéma l’avait complètement vidé, et il était en présent encore énervé, mais aussi intensément soulagé. Il avait dis ce qu’il avait eu à dire et pouvait espérer que tout serait finit à présent. Mathilda pouvait être la pire des garces, elle avait tout de même l’air honnête et fière. Tellement fière qu’elle s’empresserait bien vite doublier cette histoire et d’éviter un maximum le jeune Nightfield. Celui-ci d’ailleurs, retourna à la réalité grâce à la douleur supportable mais néanmoins présent de ses entailles aux visages et blessures au bras. Il se souvint brusquement de la présence de Lelouch et se retourna vers lui. Il avait l’air complètement perdu et mortifié. Le poing serré, Gilbert resta un instant interdit, la gorge noué, ne sachant que dire, puis finalement, il s’approcha lentement de lui, le regard bas.
- Vous n’êtes pas blessé ? Pardon pour cette… scène.
Tout en parlant, il vérifiait que son vis-à-vis n’est pas été à blessé. Gilbert avait, en revanche, la mauvaise manie de vouvoyer Lelouch tant que celui-ci ne l’avait pas rappeler à l’ordre pour cesser. Encore un réflexe du à son éducation. Il ne s’en rendait jamais compte et c’était comme s’il se sentait inconsciemment obligé d’attendre quelque chose, un signe, qui pourrait lui indiquer qu’il devait laisser tomber les politesse d’usage. Mais peu importe, pour le moment, le jeune homme aux yeux d’or se fichait pas mal de savoir comment s’adresser à Lelouch. Il était à la fois en colère contre lui-même et contre Mathilda et ses paroles sournoise, et gené de n’avoir pu éviter un tel spectacle à son… Ami… Car tel était le mot à employer quand l’on tenait à quelqu’un au point de vouloir le défendre envers et contre tout… Non ?